Suzanne Déoux, médecin ORL, spécialiste en qualité de l’air intérieur et initiatrice du colloque Les Défis Bâtiment Santé, dresse le bilan de la qualité de l’air dans nos immeubles.
Dégradée par de multiples polluants susceptibles d’avoir des effets néfastes sur notre santé, la qualité de l’air intérieur est devenue un sujet d’importance primordiale pour les publics sensibles, dont les enfants et les personnes asthmatiques. Pour éradiquer les polluants de notre quotidien, une réflexion sur la construction des bâtiments et sur les habitudes de vie des occupants s’impose. Nous avons fait le point avec le docteur Suzanne Déoux, conceptrice du Master RISEB Risques en santé dans l’environnement bâti, fondatrice de la société d’ingénierie de santé Medieco et créatrice du colloque Défis Bâtiment Santé, lancé en 2011 pour favoriser la prise de conscience et le débat sur cette problématique.
La qualité de l’air intérieur est désormais un enjeu majeur de la santé publique. Elle est même plus importante que la qualité de l’air extérieur, parce que nous passons 80 à 90 % de notre temps à l’intérieur et nous sommes donc exposés plus longtemps à ses polluants. Le problème remonte au choc pétrolier des années ’70 quand, pour éviter les gaspillages d’énergie, les gens ont commencé à ouvrir de moins en moins les fenêtres et à boucher tous les trous qui faisaient circuler l’air. Cette « culture du calfeutrage », couplée à l’apparition de nouveaux matériaux de construction, de meubles et produits d’entretien émettant davantage de polluants, a engendré une dégradation de la qualité de l’air intérieur, jusqu’aux problèmes actuels.
On peut classer les polluants de l’air intérieur selon leur origine. L’air extérieur apporte des particules, des oxydes d’azote et du benzène. Du sol, peuvent migrer différentes substances en cas de contamination, mais aussi un composé radioactif naturel comme le radon. Les matériaux de construction, ainsi que certaines activités, dont le bricolage et le nettoyage, dégagent de nombreux composés organiques volatils (COV) comme le formaldéhyde. La cuisson, la combustion de la cigarette, de l’encens et du bois sont sources de particules, d’hydrocarbures aromatiques et lorsque la combustion se fait mal, peut apparaître le monoxyde de carbone, gaz inodore et mortel. L’absence de renouvellement d’air et l’humidité vont favoriser le développement de moisissures.
Chaque composé a un impact différent. Les premiers symptômes peuvent être des maux de tête, de la fatigue ce qui conduit à une altération de nos performances. Certains polluants déclenchent des irritations et des inflammations de la gorge, des yeux, du nez. Les spores de moisissures sont fortement allergisantes et sources de réactions asthmatiques et d’infections. Avec les substances neurotoxiques comme les solvants, les insecticides peuvent survenir des vertiges. Les perturbateurs endocriniens agissent sur notre système hormonal. Une exposition prolongée à des gaz comme le radon ou aux particules provoque le cancer du poumon.
Nous sommes tous concernés par la pollution de l’air intérieur, mais les enfants, dont le système pulmonaire est encore en développement, sont la catégorie la plus sensible. Les asthmatiques aussi – environ 4 millions de Français – risquent de voir leurs problèmes augmenter quand ils sont exposés à des produits allergisants.
C’est un process par étapes, qui démarre dès l’analyse du site, se poursuit au cours de la conception par le choix de produits de construction et de finition les moins émissifs et la sélection d’équipements adaptés. A réception de la construction, il faut faire des mesures de qualité de l’air pour vérifier qu’il n’y a eu aucun dérapage en phase de chantier, et surveiller particulièrement le lot ventilation, fondamental pour garantir une bonne qualité de l’air intérieur. Six mois après, il faut la contrôler avec les occupants, le mobilier et les produits d’entretien employés, pour apporter éventuellement des ajustements. Par exemple, lors de la livraison d’une crèche, une excellente qualité de l’air était au rendez-vous grâce à une grande vigilance en conception et en construction. Six mois plus tard, les mesures ont mis en évidence de fortes quantités de COV en lien avec les produits d’entretien utilisés et le mobilier installé. Sur notre conseil, la directrice de la crèche est passée au nettoyage vapeur et le problème a été résolu.
Le choix de tous les produits en contact avec l’air intérieur (revêtements de sol, de murs, de plafonds) du mobilier, des produits d’entretien est essentiel. Il n’y a pas de bons et de mauvais matériaux, ça dépend de leur utilisation et de leur niveau d’émission. La France a élaboré un système d’étiquetage des produits de construction et de décoration, basé sur les émissions de COV. C’est un véritable repère pour les constructeurs et pour les particuliers, à qui je conseille d’acheter exclusivement des produits et des peintures en phase aqueuse avec l’étiquette A+.
Si les matériaux de construction impactent la qualité de l’air intérieur pendant un ou deux ans après la construction, la pollution dépendra ensuite des activités des occupants. Les particuliers disposent d’outils simples pour vérifier la présence de CO2 et de formaldéhyde, et peuvent surtout mettre en place des actions concrètes pour réduire la présence de polluants chez eux. Il faut essentiellement renouveler l’air tous les jours, plusieurs fois, veiller au bon entretien du système de ventilation, à ne pas boucher les entrées d’air au-dessus des menuiseries, maintenir libre l’espace sous les portes pour favoriser le balayage de l’air, éliminer l’humidité due à la cuisson ou au linge mis à sécher, éviter le tabac, l’encens, les désodorisants, les insecticides et les produits ménagers parfumés.
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